- INDO-PAKISTANAISE (ARCHÉOLOGIE)
- INDO-PAKISTANAISE (ARCHÉOLOGIE)La révélation du passé préhistorique du subcontinent indo-pakistanais a commencé dans la deuxième moitié du XIXe siècle, avec la construction du chemin de fer Karachi-Lahore qui entraîna la découverte, en 1856, des ruines de Harappa, une des deux grandes métropoles de la civilisation de l’Indus. La destruction d’une partie du site de Harappa, dont les briques servirent alors de matériau de construction pour le balast, mit au jour un certain nombre d’antiquités, notamment des cachets décorés de représentations animales et portant des inscriptions pictographiques d’un type inconnu. Plusieurs de ces cachets trouvèrent alors le chemin du British Museum où ils éveillèrent la curiosité des spécialistes. Aussi, dans la première moitié du XXe siècle, sir John Marshall, directeur du service des antiquités de l’empire des Indes, décidait-il d’entreprendre un vaste programme de fouilles pour élucider l’énigme posée par cette mystérieuse civilisation. Rappelons qu’un ensemble de références dans les textes bibliques laissait supposer l’existence, sous les sables du Proche-Orient, d’anciennes civilisations dont les archéologues allaient peu à peu retrouver les traces. En revanche, le dégagement dans la vallée de l’Indus, dans les années 1920 et 1930, de villes immenses dont l’urbanisme – plan des rues en damier, système d’égouts publics et installations sanitaires – est tout à fait exceptionnel, provoqua une très vive surprise. La découverte de quelques cachets dans le style de la civilisation de l’Indus, sur des sites mésopotamiens de la deuxième moitié du IIIe millénaire et du début du IIe millénaire, permettait d’assigner un cadre chronologique à cette civilisation toujours auréolée de mystère. À la même époque sir Aurel Stein s’attachait à l’exploration des zones très arides et difficiles d’accès du Baluchistan, qui l’amena à découvrir de nombreux sites antérieurs à la civilisation de l’Indus. Mais ces villages de taille très modeste ne semblaient guère fournir d’éléments pour expliquer l’apparition d’une grande civilisation sur les bords de l’Indus.Parallèlement à ces premières recherches portant sur les périodes proto-historiques, des géologues, comme R. Bruce Foot, commençaient à réunir des collections d’outils dans la région de Madras, puis dans l’Inde du Nord-Ouest, qui révélaient l’existence d’un âge de la pierre comparable à celui que l’on était en train de découvrir en Europe. À la suite des pionniers du XIXe siècle, les archéologues continuèrent à répertorier des collections d’outils de pierre sur presque tout le subcontinent, établissant des parallèles typologiques avec les industries paléolithiques de l’Europe. Mais le problème de la datation de ces objets, provenant le plus souvent de collectes de surface, restait entier. C’est à la mission de De Terra et Paterson, dans les piémonts himalayens, en 1933, que revient le mérite d’avoir tenté pour la première fois d’établir une séquence qui reste encore un important point de référence. Sur la base de considérations d’ordre technologique et typologique, le matériel de nombreux sites de la vallée de la Soan, au Punjab, et du Cachemire, a été mis en relation avec des séquences de terrasses formées par les rivières de ces régions. Ainsi De Terra et Paterson ont-ils cru pouvoir distinguer quatre phases glaciaires séparées par trois périodes interglaciaires qu’ils ont proposé de mettre en relation avec les phases glaciaires de l’Europe, créant alors le premier cadre chronologique pour l’étude des industries paléolithiques du subcontinent indo-pakistanais.Les années qui suivent l’indépendance du Pakistan et de l’Inde (1947) sont marquées par le développement des recherches archéologiques dans de nombreuses régions, en particulier grâce à une politique d’explorations et de sondages stratigraphiques selon les méthodes appliquées par sir Mortimer Wheeler, le dernier directeur du service archéologique de l’empire des Indes. La liste des gisements appartenant à des phases considérées comme paléolithiques, mésolithiques, néolithiques ou chalcolithiques, s’allonge considérablement au fil des années. Cependant l’accumulation de découvertes nouvelles pose de graves problèmes au niveau de leur interprétation. L’utilisation, en particulier, de termes appartenant au vocabulaire de l’archéologie de l’Europe et du Proche-Orient, pour désigner les différents assemblages culturels du monde indien, est souvent une source de confusion. Aussi est-il souhaitable de définir brièvement ces termes, en soulignant les problèmes que pose leur emploi dans le monde indo-pakistanais où l’on s’en sert soit pour distinguer des stades successifs de l’histoire du subcontinent soit pour qualifier les modes de vie de groupes distincts qui ont souvent pu vivre à des époques très diverses.Rappelons que l’on divise les grandes périodes de l’humanité de la façon suivante: le Paléolithique, le Mésolithique, le Néolithique et l’âge des métaux (Chalcolithique, âge du bronze et âge du fer). Le Paléolithique représente 99 p. 100 de l’histoire de l’humanité; pendant cette période, les sociétés humaines ont vécu selon une économie fondée sur la chasse, la pêche et la cueillette. Le terme de Mésolithique, période intermédiaire par définition, sert à désigner des groupes qui, au Postglaciaire, accroissent leur contrôle sur les ressources naturelles, utilisent de plus en plus de la nourriture végétale, grâce à l’emploi de broyeurs et de meules, et finissent par produire eux-mêmes leurs aliments, délaissant peu à peu les activités de chasse et de cueillette. Commence alors le Néolithique avec les premiers villages de paysans sédentaires utilisant des haches de pierre polie, puis fabriquant, après un stade précéramique ou acéramique, la poterie. On peut suivre ce passage du Mésolithique au Néolithique en Irak et en Palestine du XIe millénaire aux IXe et VIIIe millénaires avant notre ère. Mais, dans d’autres régions, et dans le monde indo-pakistanais en particulier, il est souvent difficile d’observer une évolution aussi homogène et continue, bien que l’on utilise très largement les termes «mésolithique» ou «néolithique» pour définir différents groupes. Le terme de mésolithique sert en effet à désigner non seulement des prédateurs (chasseurs-cueilleurs) en voie d’évolution vers le stade de producteurs du Néolithique, mais aussi des groupes qui conservent une économie assez proche de celle des chasseurs du Paléolithique. Ces derniers groupes, que l’on doit appeler plutôt épipaléolithiques, se distinguent de leurs prédécesseurs par une industrie lithique aux outils de taille de plus en plus réduite, parfois même minuscule. La présence de ces petits outils ou «microlithes», souvent de formes géométriques (trapèzes, segments et triangles), est un élément suffisant aux yeux de beaucoup de spécialistes de l’archéologie indo-pakistanaise pour classer un groupe dans le Mésolithique. De même, un site devient néolithique si l’on y trouve quelques haches de pierre polie et des tessons de céramique; un site voisin sera qualifié de chalcolithique si quelques objets de cuivre ont pu y être découverts. Pourtant, nous le verrons, beaucoup de ces sites qualifiés de mésolithiques, néolithiques, ou chalcolithiques, ont été plus ou moins contemporains. Le monde indien est en effet constitué de régions très diverses; plaines alluviales, déserts, jungles, forêts tropicales, montagnes difficilement pénétrables forment des ensembles où, de nos jours encore, vivent des populations culturellement et économiquement très différentes. Ainsi, en marge des villes et des villages de l’Inde contemporaine, trouve-t-on encore, dans les reliefs de l’Inde centrale, des groupes qui exploitent les ressources forestières en conservant un mode de vie très proche de celui des prédateurs du Paléolithique.Cette coexistence de communautés vivant à des niveaux économiques et culturels très différents est un trait constant de toute l’histoire du subcontinent. Il ne faut donc pas trop s’étonner de trouver dans les ouvrages consacrés à la préhistoire indo-pakistanaise des références à des sites chalcolithiques du Ve millénaire au Baluchistan, à des villages néolithiques du IIIe millénaire dans la vallée du Gange et dans le Deccan, et à des camps mésolithiques du IVe au Ier millénaire au Gujarat et au Rajasthan. Il est bien évident que les termes «mésolithique», «néolithique», «chalcolithique» ne coïncident pas toujours dans le subcontinent indo-pakistanais avec une succession chronologique, comme c’est le cas au Proche-Orient; ils servent souvent à désigner des groupes que l’on devrait plutôt appeler submésolithiques ou sub-néolithiques, dans la mesure où ils ont parfois vécu en marge de communautés agricoles du Chalcolithique ou de l’âge du bronze.1. Le PaléolithiqueMalgré le nombre important des recherches en cours, il est encore difficile d’établir des séquences chronologiques solides pour le quaternaire récent dans le subcontinent indo-pakistanais. L’observation des terrasses formées par les différentes rivières indique des alternances de phases sèches et humides qu’il est encore difficile de dater. Les plus anciennes industries lithiques que l’on a répertoriées sur de nombreuses terrasses de l’Inde centrale et de l’Inde péninsulaire s’apparentent à l’industrie acheuléenne de l’Europe, de l’Afrique et de l’Asie occidentale. Les pièces qui paraissent les plus anciennes, en particulier des bifaces relativement grossiers, rappellent souvent les industries du Paléolithique inférieur de l’Europe; elles ont été ramassées dans d’anciennes zones de charriage des eaux. Parfois, cependant, les outils paraissent plus ou moins groupés et marquent l’emplacement de camps, comme à Chikri, sur les bords de la Pravara, à l’est de la région de Bombay, où des travaux de fouille ont permis de réunir une collection de bifaces grossiers en quartzite. À Hungsi, dans le Karnataka, la découverte de nombreux éclats de débitage indique que l’on se trouve en présence d’ateliers et de sols d’occupation. Mais, comme sur tous les autres gisements appartenant à un stade relativement ancien de l’Acheuléen indien, l’absence à Hungsi de restes organiques ou d’installations de foyers rend difficiles les tentatives de reconstitution des modes de vie des premiers occupants du subcontinent. Dans l’Inde centrale, dans la région des monts Vindhya, où vivent encore des populations tribales exploitant les ressources de la forêt tropicale, on a découvert de nombreux abris sous roche dont certains ont été occupés d’une façon plus ou moins continue de la fin du Paléolithique inférieur jusqu’à l’époque médiévale. À Bhimbetka, à 45 kilomètres de Bhopal, on a dénombré 750 grottes dont 500 sont décorées de fresques qui dateraient du «mésolithique» et de la période historique. Quelques-unes de ces grottes possèdent des couches d’occupation contenant des bifaces, des hachereaux, des grattoirs et des éclats de débitage. La taille des outils, la qualité du débitage et la présence d’une forte proportion de grattoirs indiquent que l’on se trouve en présence d’une phase de transition entre une industrie de type paléolithique inférieur et une industrie de type paléolithique moyen. Il en est de même des occupations les plus anciennes d’une autre série d’abris sous roche dans les collines d’Adamgarh.Dès les années 1930, des géologues comme James Tod, dans la région de Bombay, et L. A. Cammiade, dans l’Inde du Sud, ont mis en évidence un horizon d’industries sur éclats correspondant à une phase intermédiaire entre le Paléolithique inférieur et le Paléolithique supérieur, le Paléolithique moyen. Ces industries, qui présentent des parallèles avec le moustérien de l’Asie occidentale et de l’Asie centrale, sont souvent qualifiées de névasiennes, d’après le site de Nevasa, dans la région de Bombay; elles sont bien représentées dans toute l’Inde centrale et péninsulaire. Les outils sont souvent taillés dans des blocs d’agate, de jaspe ou de calcédoine, provenant des lits des rivières. Au nord-ouest de la chaîne des Aravalli, certains assemblages paraissent plus diversifiés et possèdent une proportion plus importante de burins: on les désigne sous le nom d’industrie de type Luni. Mais jusqu’à présent aucune fouille n’a permis de retrouver des niveaux d’occupation contenant des dépôts organiques et des installations susceptibles de nous permettre de reconstituer les modes de vie de ces groupes. On ne possède pas d’éléments de datation très solides pour ces industries que l’on peut approximativement situer entre 45 000 et 20 000 ans B.P. (before present , c’est-à-dire avant 1950, année où les premières datations au C 14 ont été réalisées).C’est également au Paléolithique moyen que l’on peut rattacher plusieurs vastes ateliers de débitage sur les affleurements rocheux de Rohri, dans le Sind, qui se dressent au milieu de la plaine alluviale de l’Indus. Les collines de Rohri, où l’on exploite encore de nos jours de grandes carrières de silex, semblent avoir été, dès cette époque, un lieu de fabrication intensive d’outils. Ces carrières seront par la suite la source d’approvisionnement en silex de nombreux sites de la civilisation de l’Indus.Le travail de la mission de l’université de Cambridge sur le plateau de Potwar au Punjab, et en particulier dans la vallée de la Soan, a permis de découvrir de vastes ateliers couvrant parfois plusieurs hectares. Les outils – «chopper» ou «chopping tools» faits à partir de galets aménagés et d’éclats provenant de rognons de silex travaillés – sont relativement homogènes et paraissent appartenir au Paléolithique moyen.C’est probablement à la fin de la phase humide du Pleistocène tardif que commencent à se développer des industries dont le débitage laminaire tend à se perfectionner et à se spécialiser. Mais les gisements qui semblent correspondre au Paléolithique supérieur indien, au cours de la phase aride de la fin du Pleistocène, ne nous sont connus que par leurs industries lithiques, marquées par une prédominance des lames. Ces industries du Paléolithique supérieur se rattachent aux traditions du Paléolithique moyen, comme on peut le voir en particulier dans la séquence stratigraphique des terrasses de la vallée de la Belan, et dans le sud de l’Uttar Pradesh où cet horizon pourrait dater, d’après des résultats d’analyses au radiocarbone, de 17 000 ans B.P.2. Le «Mésolithique» indienLe terme «mésolithique», comme on l’a vu, sert à désigner tantôt un stade intermédiaire entre l’économie de chasse et de cueillette et la production des aliments, tantôt une phase d’évolution des industries lithiques. Dans le deuxième cas, où l’on devrait plutôt utiliser le terme «épipaléolithique», l’évolution constatée concerne la diminution progressive de la taille des pièces lithiques par rapport aux outils du Paléolithique.De nombreux sites ont été découverts en Inde, en bordure du Thar, au Rajasthan, au Gujarat et dans l’Inde centrale en particulier, dont l’industrie lithique tend à se miniaturiser. L’accroissement du nombre de ces sites à industries épipaléolithiques par rapport à celui des gisements du Paléolithique supérieur semble marquer l’avènement de conditions climatiques meilleures, plus humides et plus favorables au développement des activités de chasse et de cueillette. Cependant, l’absence de données culturelles autres que les pièces lithiques, provenant le plus souvent de collectes de surface, rend difficile une appréciation des transformations qui ont pu marquer les périodes qui suivent la phase finale aride du Paléolithique supérieur. Il est de même très difficile de dater ces gisements qui, sur le plan culturel et économique, se situent dans la suite directe du Paléolithique supérieur. Il est à espérer que de futures recherches nous permettront de connaître les différents stades d’une période qui couvre sans doute plusieurs millénaires. On peut cependant penser que la miniaturisation des outils a entraîné une meilleure exploitation des ressources naturelles, grâce à une diversification accrue des techniques de chasse, de pêche et de cueillette.Une étape importante de l’histoire des sites épipaléolithiques indiens correspond à l’apparition des microlithes géométriques – segments, triangles ou trapèzes – dont on a retrouvé des quantités impressionnantes au Gujarat, au Rajasthan et en Inde centrale, notamment dans les grottes et abris sous roche des monts Vindhya. Certains sites ont livré plusieurs centaines de milliers de pièces lithiques en silex ou en pierres semi-précieuses, notamment en calcédoine ou en agate. Il est évident que nous sommes là à une période très importante de transformations culturelles et économiques. Tout d’abord le nombre de ces sites à microlithes géométriques est considérable, comparé à celui des gisements du Paléolithique supérieur ou des phases épipaléolithiques plus anciennes. Avec ces microlithes géométriques, qui permettent la fabrication de pointes de flèches composites ou de harpons à barbelure, il fait peu de doute que les techniques de chasse et de pêche ont connu un grand développement. Les sites «mésolithiques» à microlithes géométriques offrent pour nous l’avantage d’avoir été relativement mieux étudiés que les gisements plus anciens. Quelques fouilles ont même permis d’établir des séquences et ont fourni des données sur l’organisation économique. Il apparaît que sur les quelques sites dont on a pu étudier la faune, comme Bagor au Rajasthan ou Adamgarh, dans les monts Vindhya, les pièces microlithiques géométriques proviennent d’occupations à économie mixte, où l’élevage des chèvres, des moutons et des bovins joue un rôle important à côté des activités de chasse.Il nous faut tenter d’apprécier le rôle joué dans les transformations culturelles de l’Asie du Sud par ces groupes, utilisateurs de microlithes géométriques. L’apparition de microlithes géométriques est-elle le résultat d’une évolution des industries épipaléolithiques indiennes ou résulte-t-elle d’influences de régions se rattachant géographiquement à l’Asie occidentale? De même doit-on considérer la présence sur ces sites d’animaux domestiqués associés à des outils en pierre polie, suggérant l’existence d’une proto-agriculture, comme la marque d’une néolithisation progressive et indépendante? S’agit-il au contraire d’éléments qui reflètent les contacts qui ont pu s’établir entre des groupes de prédateurs de l’Inde continentale et les premiers paysans des piémonts du Baluchistan et de la vallée de l’Indus? Là se pose naturellement la question de la datation de ces sites ou camps à microlithes géométriques par rapport à celle des premiers villages agricoles du Baluchistan et de l’Indus. Nous verrons plus loin que l’économie agricole se développe au pied des montagnes du Baluchistan, à Mehrgarh en particulier, sans doute dès le début du VIIe millénaire. Si la chasse tient encore une place importante dans les phases les plus anciennes du village de Mehrgarh, la culture des céréales y est déjà bien développée. Il est intéressant de constater, dans l’assemblage néolithique de Mehrgarh, la présence d’un nombre limité de microlithes géométriques. Ces microlithes (en particulier les trapèzes à dos concaves) se rattachent par leurs types aux traditions épipaléolithiques et néolithiques de l’Asie centrale comme à celles des camps précéramiques de l’Afghanistan du nord (VIIe-VIe millénaire) ou à celle de la culture néolithique de Djeitun (VIe millénaire), elle-même dérivée des gisements épipaléolithiques plus anciens de la mer Caspienne.Sur la plupart des sites fouillés du Rajasthan, du Gujarat et de l’Inde centrale, les niveaux intermédiaires contiennent quelques objets de cuivre et de céramique. Dans certains cas, la céramique se rattache stylistiquement à celle des sites «chalcolithiques» indiens (2000-1500 av. J.-C.). On constate aussi que plusieurs de ces sites ou camps à microlithes géométriques ont été occupés jusqu’à l’âge du fer. Ainsi à Langhnaj, des chasseurs semi-nomades ont conservé leur mode de vie «mésolithique» jusqu’au Ier millénaire avant notre ère, vivant en marge des villages agricoles du Gujarat. Il est cependant évident que certains sites à microlithes possèdent des niveaux qui sont antérieurs à ceux que l’on peut dater autour de 2000 avant J.-C. À Bagor, deux mètres de dépôts d’occupation n’ont apparemment ni céramique ni objets de métal. Dans des grottes de l’Inde centrale, on trouve aussi, sous les niveaux à microlithes associés à la céramique peinte du style de Malwa (début du IIe millénaire av. J.-C.), des couches plus profondes apparemment acéramiques. On peut donc penser que ces sites à microlithes géométriques, qui ont manifestement subi l’influence des populations agricoles au cours de leur histoire (objets de cuivre, céramiques des sites «chalcolithiques»), ont pu être fondés dans un contexte plus ancien, au IVe ou au Ve millénaire, voire même au VIe millénaire avant J.-C. Il faut cependant considérer avec prudence certaines dates radiocarbones, comme celle de 5500 avant J.-C. pour un des niveaux supérieurs d’une des grottes «mésolithiques» d’Adamgarh, dans les monts Vindhya. Ce résultat, que l’on mentionne beaucoup dans les ouvrages traitant de la préhistoire indienne, a été obtenu à partir de coquillages (matériau peu fiable pour les datations), prélevés dans un niveau qui, par ailleurs, contenait deux objets en fer. Une autre date, pour une couche légèrement inférieure, de la même grotte, se situe autour de 895 avant J.-C. Nous nous trouvons donc en présence de dates peu sûres, provenant d’un contexte soit tardif soit assez flou. Rappelons que les premiers objets en fer n’apparaissent en Inde que peu avant 1000 avant J.-C. Dans l’état actuel des recherches, il semble donc bien que les sites à microlithes géométriques, tout en se rattachant à certaines traditions de l’Épipaléolithique indien, soient relativement tardifs, au plus tôt contemporains des premiers villages des piémonts du Baluchistan et de la vallée de l’Indus, et, dans bien des cas, postérieurs aux toutes premières phases néolithiques de ces régions-frontières de l’Asie occidentale et de l’Asie centrale. Dans ces conditions, il paraît logique de rattacher la présence d’animaux domestiques sur les sites à microlithes de l’Inde continentale aux contacts qui ont pu s’établir très tôt entre paysans et groupes de prédateurs qui ont peu à peu adopté une économie mixte de chasseurs-cueilleurs et d’éleveurs.Il serait cependant faux de considérer ces groupes comme marginaux dans l’histoire du peuplement du monde indien. Ils ont sans doute joué un rôle très important dans l’exploration et l’exploitation de plus en plus systématiques des ressources de vastes zones du subcontinent. Des recherches récentes menées par l’université d’Allahabad montrent d’ailleurs que les chasseurs-cueilleurs de l’Inde centrale, installés sur les éperons rocheux constituant la bordure méridionale du Gange, se sont parfois éloignés des sources de silex ou de pierre nécessaires à la fabrication de leurs outils, pour s’implanter de façon plus ou moins temporaire au cœur même de la plaine alluviale. Ainsi, plusieurs emplacements de villages et de camps, formés de huttes circulaires, ont été découverts près de lacs laissés par les méandres d’anciens cours du Gange ou de ses affluents. Des sites comme Sarai-Nahar-Rai ou Mahadaba, au nord d’Allahabad, ont livré de larges collections de microlithes identiques à ceux des camps de l’Inde centrale; à proximité des huttes rondes, plusieurs tombes, contenant des parures, des pièces lithiques et des offrandes alimentaires, ont pu être fouillées. Quant aux restes organiques, ils révèlent l’importance de la chasse et de la pêche, qui offraient dans cette région des ressources potentielles considérables; cependant, la découverte d’os de zébus, de chèvres et de moutons indique que nous sommes en présence, comme sur les autres sites «mésolithiques» indiens, d’une économie mixte où l’élevage tient déjà une place importante. L’exploitation des ressources végétales, le riz sauvage en particulier, explique la présence de nombreuses meules et de nombreux broyeurs.Ces premiers villages de la vallée du Gange et de ses piémonts, comme Chopani Mando, au pied des monts Kairmur, sont difficiles à dater. La séquence stratigraphique de ces sites comprend des couches profondes apparemment acéramiques, des couches intermédiaires – avec une poterie grossière dont la surface porte des impressions de vannerie ou de corde, et parfois quelques objets de métal – et des couches supérieures que l’on ne peut situer plus haut que 2000 avant J.-C. Comme dans le cas des sites à microlithes de l’Inde centrale, on peut proposer de dater les phases les plus anciennes de ces villages, sans doute à l’origine de la domestication du riz, du IVe millénaire ou du Ve millénaire, au plus tôt. Ainsi les camps et les villages semi-permanents de l’Inde péninsulaire et de la vallée du Gange possèdent un assemblage culturel composite. Par certains de leurs caractères, ils se situent dans la suite directe de la tradition du Paléolithique supérieur indien, qui a dû se prolonger sous des formes plus ou moins constantes bien après le Xe millénaire avant J.-C. Mais ces sites ont subi aussi, sans doute, les effets des contrecoups des grandes transformations culturelles qui, au cours des IXe, VIIIe et VIIe millénaires, ont marqué l’histoire de la vaste zone géographique comprise entre les flancs du Zagros et les piémonts du Baluchistan, en lisière de la vallée de l’Indus. Les contacts qui n’ont pas manqué de s’établir entre les paysans néolithiques de sites comme Mehrgarh et les groupes de prédateurs vivant à l’est de l’Indus, peut-être dès 7000 avant J.-C., ont sans doute joué un rôle important dans la diffusion de nouvelles techniques agricoles et artisanales qui ont permis un meilleur contrôle des ressources naturelles, dans un cadre de vie dominé encore par les activités de chasse, de pêche et de cueillette. On peut d’ailleurs voir, dans beaucoup de ces sites, le substrat sur lequel se développeront les villages agricoles de la vallée du Gange et de l’Inde péninsulaire au IIIe et au IIe millénaire avant J.-C.3. Les premiers établissements néolithiques au Baluchistan et dans la vallée de l’Indus (VIIe-VIe millénaire)Malgré son aridité et la désolation grandiose de son paysage, le Baluchistan, qui forme la partie orientale du grand plateau iranien, possède de nombreuses petites vallées alluviales, parcourues par des cours d’eau semi-permanents. Ces vallées, facilement défrichables et irrigables, offrent un milieu propice à l’implantation de communautés pratiquant une économie agricole simple. Il en est de même des fertiles cônes alluviaux qui, comme la plaine de Kachi ou celle de la Gomal, viennent se fondre dans la plaine de l’Indus. Ce milieu géographique, comme celui des flancs du Zagros en Iraq et en Iran, présente des conditions favorables pour la domestication d’animaux et la culture de graminées sauvages. Pourtant, jusqu’à ces dernières années, les recherches faites au Baluchistan ou en bordure de l’Indus n’avaient jamais révélé l’existence de villages à économie agricole d’une antiquité comparable à celle des premiers établissements néolithiques du Proche-Orient. Une fouille d’importance limitée à Kili Gul Mohammad, près de Quetta, dans les années 1950, avait permis de découvrir des niveaux néolithiques précéramiques, datés par le carbone 14 des environs de 3300 avant J.-C. Ces niveaux néolithiques paraissaient donc constituer l’horizon culturel le plus ancien de ces régions qui, par la suite, virent, autour de 3000 avant J.-C., se multiplier des petits villages «chalcolithiques» dont les styles céramiques variés semblaient dériver de ceux des sites du plateau iranien ou de l’Asie centrale méridionale. Le Baluchistan et la vallée de l’Indus apparaissaient donc avoir été affectés avec un retard de souvent plusieurs millénaires par les contrecoups des phénomènes culturels de l’Asie occidentale et de l’Asie centrale.Depuis les années 1970, les travaux de la mission française à Mehrgarh remettent en cause ces conceptions. Mehrgarh, fouillé depuis 1974, occupe une position géographique importante à la sortie du col de la Bolan qui relie la vallée de l’Indus à l’Asie centrale et à l’Iran oriental. La zone archéologique de Mehrgarh couvre environ 200 hectares et est constituée par l’accumulation de vestiges laissés par des établissements qui se sont succédé au cours des millénaires. Les plus anciens de ces établissements, qui appartiennent à des phases néolithiques précéramiques (ou acéramiques), se trouvent dans la partie nord de cette zone archéologique où ils se superposent pour former une longue séquence de dépôts d’occupation, sur plusieurs hectares. Il est encore difficile de dater avec précision les débuts de l’occupation de ce site; les dates radiocarbones sont très variables et souvent difficilement utilisables tant leurs divergences sont grandes. Toutefois, les niveaux néolithiques précéramiques sont en partie recouverts par les restes d’occupations associés à une céramique grossière que l’on date, sur la foi de comparaisons avec d’autres sites et en tenant aussi compte de dates radiocarbones, des alentours de 5500 avant J.-C. On peut donc proposer des dates entre 7000 et 5500 avant J.-C. pour les différentes phases d’occupation précéramique de Mehrgarh, qui représentent une accumulation d’au moins huit mètres de dépôts. La séquence d’évolution de l’assemblage culturel de cette première période néolithique présente par ailleurs de nombreux points de comparaison avec ce que l’on connaît des sites précéramiques du Proche-Orient datés des environs de 7000 avant J.-C.Dès les niveaux les plus profonds apparaissent des maisons à pièces multiples, de plan rectangulaire, construites en brique crue. L’étude de la faune montre que la chasse fournit encore l’essentiel des besoins en viande dans la première période d’occupation; on note cependant la présence d’animaux domestiqués, en particulier de chèvres. Dans les phases suivantes, la proportion d’animaux sauvages décroît de façon très nette et, à la fin des phases précéramiques, la faune est presque exclusivement constituée par des espèces domestiques, avec une proportion de plus en plus forte de bovins (zébus et buffles). Les premiers occupants du site ont également cultivé des céréales. Les couches les plus profondes ont fourni des restes d’orge sauvage mais aussi d’orge cultivé. En effet, plus de cinq mille empreintes de végétaux, dans l’argile, et quelques graines brûlées ont pu être identifiées et étudiées en détail par le paléobotaniste L. Costantini: 80 p. 100 de ces dernières correspondent à de l’orge cultivé. Nous nous trouvons donc en présence d’un véritable établissement agricole dès le début du VIIe millénaire. La fouille des niveaux supérieurs (fin du VIIe millénaire et début du VIe millénaire) a permis le dégagement, sur plusieurs milliers de mètres carrés, de nombreuses maisons aux plans réguliers, de vastes zones d’activités domestiques et artisanales et de cimetières. L’outillage lithique – lames, lamelles, microlithes géométriques, haches de pierre polie, ciseaux, palettes, meules, molettes et pilons – et l’outillage osseux – poinçons et aiguilles – représentent l’essentiel des découvertes en dehors des architectures. Quant aux récipients, en l’absence de poterie, ils sont constitués principalement par des paniers recouverts d’une couche de bitume.Les tombes des niveaux précéramiques de Mehrgarh nous fournissent une importante source de documentation sur les pratiques funéraires, sur l’artisanat et l’organisation sociale des premières populations villageoises dans le système de l’Indus. Les squelettes sont en position fléchie, souvent ocrés. Dès les niveaux les plus profonds, certains portent des parures en pierres parfois semi-précieuses – lapis-lazuli et turquoise –, en coquillages marins ou en os. La qualité de ces ornements, faits dans des matériaux qui impliquent l’existence de tout un réseau d’échange, dès le début du VIIe millénaire avant J.-C., est révélatrice du niveau déjà élevé des techniques artisanales. Il est intéressant de constater que beaucoup de ces morts ont été enterrés avec des outils ou des objets en rapport, sans doute, avec leurs activités. Dans les niveaux les plus anciens, à une époque où la chasse prédomine encore par rapport à l’élevage, deux squelettes ont été retrouvés avec chacun cinq chevreaux complets déposés à leurs pieds. Un nombre aussi élevé de chevreaux dans deux tombes voisines appelle une explication qui doit dépasser le cadre de la simple offrande funéraire; on peut donc se demander si de tels dépôts ne pourraient pas correspondre au désir de prolonger dans la société des morts l’existence de troupeaux dont le rôle commence alors à être important dans la communauté des vivants. Ainsi peut-on imaginer que les premiers habitants de Mehrgarh ont eu une conception du monde des morts très proche de celle du monde des vivants à une époque où existait déjà une certaine division des activités – chasse, élevage, culture des céréales, travail des peaux, vannerie, débitage de silex, etc. – qui aurait pu servir aussi de cadre à l’organisation post-mortem du groupe.Dans la première moitié du VIe millénaire, la céramique fait son apparition à Mehrgarh. Il s’agit d’une poterie très grossière dont la pâte est mêlée de paille. L’agglomération néolithique est alors renforcée par d’énormes murs de soutènement en briques crues, complétés par un système de murs à redents. Un ensemble de bâtiments divisés en petits compartiments symétriques forme un impressionnant complexe de magasins. De nouvelles variétés d’orge et de blé, qui correspondent à des cultures irriguées, apparaissent alors. Dans les tombes, qui contiennent toujours des squelettes en position fléchie, parfois ocrés, on note la disparition de tout mobilier funéraire. Il paraît fort possible que cette époque, qui voit se multiplier les figurines humaines et animales en terre crue puis en terre cuite, corresponde à un changement profond dans le domaine des conceptions concernant la vie après la mort.La fouille de Mehrgarh est pour le moment notre seule source de documentation sur les débuts de l’économie agricole dans le subcontinent. Mais les éléments dont nous disposons, qu’il s’agisse de la diversité des pratiques agricoles et artisanales ou de l’organisation architecturale complexe du site, nous révèlent la présence en bordure même de la vallée de l’Indus, au VIIe et au VIe millénaire, de communautés dont le niveau culturel est déjà proche de celui des villes et des villages du Chalcolithique.4. La période chalcolithique au Baluchistan et dans la vallée de l’Indus (5000-2500 av. J.-C.)La fouille de Mehrgarh permet de constater que les villages «chalcolithiques» du Baluchistan et de l’Indus, dont on ne connaissait guère auparavant que les industries céramiques, s’inscrivent, dans une séquence continue de transformations, à la suite des phases néolithiques plus anciennes. Sur le site de Mehrgarh même, on note une amélioration rapide des techniques de fabrication de la poterie. Dès 4000 avant J.-C., la poterie de Mehrgarh et de nombreux sites des vallées du Baluchistan est décorée de frises de capridés et d’oiseaux dans le style dit de «Togau» et de motifs géométriques complexes dans le style de «Kili Gul Mohammad» (du nom des premiers petits sites où ces types de poterie ont été répertoriés). À Mehrgarh, des restes de fours circulaires et des amas de déchets, comprenant des millions de tessons ou de ratés de cuisson, témoignent de l’échelle massive de la production de céramiques de bonne qualité, fabriquées au tour. À côté de vastes complexes de magasins dont le plan dérive directement de ceux de la période néolithique, on remarque des vestiges d’ateliers de taille de lapis-lazuli, de turquoise, de cornaline et de coquillages marins. De ces aires d’activités proviennent aussi de petits forets en jaspe vert (phtanite) dont la surface porte des traces d’abrasion indiquant qu’ils ont probablement été utilisés dans un système de tour à courroie ou à archet. Rappelons qu’il s’agit là d’un système qui permet de faire tourner une baguette à l’aide de la pression exercée sur une courroie, souvent attachée à un archet, dont le déroulement et l’enroulement entraîne un mouvement rotatif régulier. Ce système de tour à courroie ou à archet, attesté en Iran oriental seulement après 3000 avant J.-C., sera très largement utilisé sur les sites de la civilisation de l’Indus, en particulier à Chanhu-daro en relation avec les ateliers de fabrication de perles de cornaline. Dans cette même zone d’activités artisanales de Mehrgarh, un ensemble de creusets contenant des traces de cuivre a été retrouvé dans une épaisse couche de cendres. Ces creusets sont intéressants car ils nous donnent en négatif la forme de lingots qu’ils ont servi à fondre. Ces lingots, en forme de calotte sphérique, avaient environ 11 cm de diamètre pour une épaisseur de 4 à 5 cm. Par leur taille et leur forme, ils étaient très proches de ceux que l’on a retrouvés sur les sites de la civilisation de l’Indus. Cette période marque donc un moment important dans le développement de la métallurgie du cuivre.Vers 3500 avant J.-C., on assiste à l’apparition de villages sur les rives mêmes de l’Indus, notamment à Amri, dans le Sind. Ces premiers villages, dont le nombre augmente dans la phase suivante, à l’époque de la poterie du style de Kot Diji, marquent le début de l’exploitation du riche potentiel agricole de la plaine de l’Indus, couverte à l’origine de jungles baignant dans les marécages laissés par les violentes crues du fleuve.La fin du IVe et le début du IIIe millénaire correspondent à une phase culturelle importante au Baluchistan et dans la vallée de l’Indus. À Mehrgarh même, des zones de cuisson de jarres, encore en place, et des vestiges d’ateliers de potier témoignent de l’importance des activités artisanales. La poterie est souvent ornée, vers 3500 avant J.-C., de grandes compositions géométriques polychromes. Vers 3000 avant J.-C. se développe une production de poterie grise à décor animal, végétal ou géométrique peint en noir, d’une grande qualité décorative et dont le succès dépasse largement les frontières du Baluchistan. Le cimetière de Nal, dont les tombes contiennent des armes de cuivre et d’élégants récipients à décor polychrome peint après cuisson, symbolise bien le degré de prospérité des petites vallées du Baluchistan, aujourd’hui occupées par des populations semi-nomades. La période située autour de 3000 avant J.-C. est particulièrement importante dans la zone des frontières occidentales du subcontinent. Le long du système de l’Hilmand, de Mundigak (période III), en Afghanistan, à Shahr-i-Sokhta, au Sistan iranien, sites fouillés respectivement par des missions française et italienne, apparaît alors un vaste ensemble culturel dont les contacts avec le Baluchistan et l’Indus, d’une part, et la Turkménie méridionale, d’autre part, ont sans doute joué un rôle important pour le développement des échanges. La céramique du style de Quetta, au Baluchistan, porte des décors géométriques (motifs en escalier ou en croix) proches de ceux de la poterie du style de Namazga III, en Turkménie méridionale. La présence d’un nombre grandissant de sceaux-cachets en terre cuite, en pierre, en os et en métal, est sans doute à mettre en rapport avec l’augmentation des échanges. Les sceaux du Baluchistan, d’Iran oriental ou de Turkménie méridionale sont décorés de motifs géométriques similaires. On note aussi un peu partout la multiplication de figurines humaines et animales en terre cuite. À Mehrgarh, dans les niveaux que l’on peut dater entre 3000 et 2500 avant J.-C., des milliers de fragments de figurines féminines et masculines ont été découverts; ces figurines se rattachent à une tradition qui remonte aux statuettes de terre crue de l’époque néolithique; mais, suivant une évolution déjà sensible au IVe millénaire, elles deviennent de plus en plus réalistes. Leur modelé relève parfois d’un certain souci artistique et la diversité des coiffures et des bijoux rehaussés de couleur reflète sans doute l’existence d’une société raffinée. Mais, par-delà leur diversité, les figurines qui correspondent à la phase d’apogée du site de Mehrgarh s’ordonnent en types bien définis. Leurs attributs pourraient correspondre à des représentations symboliques plus complexes, à une mythologie dont le sens nous échappe faute de documents écrits. Il est cependant intéressant de noter, malgré d’évidentes différences stylistiques, l’apparition à la même époque sur les sites de la Turkménie méridionale de types assez similaires avec parfois des attributs identiques. De telles ressemblances laissent supposer l’existence de certains traits idéologiques communs entre les sites de l’Asie centrale méridionale et ceux du Baluchistan.L’intensification des échanges, dans le cadre d’une vaste zone d’interaction culturelle allant de l’Asie centrale à l’Indus, favorise sans doute une transformation de la société qui explique l’apparition d’architectures monumentales comme le «palais», le «temple» et les fortifications de Mundigak, vers 2600 avant J.-C. ou la grande plate-forme et le mur à pilastres de Mehrgarh. À Rahman Deri, site fouillé par une équipe pakistanaise, dans la vallée de la Gomal, les photos aériennes permettent de distinguer un plan de rues en damier qui traduit, vers 2500 avant J.-C., un véritable souci d’urbanisme.5. La civilisation de l’Indus (2400-1800 av. J.-C.)L’apparition d’une grande civilisation urbaine dans la vallée de l’Indus, vers 2500-2400 avant J.-C., a longtemps été considérée comme un phénomène soudain et mystérieux. Cependant, un ensemble de découvertes permet de suivre, de 7000 à 2500 avant J.-C., une suite de transformations et d’innovations dont les effets cumulatifs, stimulés par l’élargissement du réseau des échanges à partir de 3000 avant J.-C., créent les conditions favorables au développement d’une civilisation urbaine. Cette civilisation, dont la prospérité repose en grande partie sur l’exploitation de plus en plus systématique des riches limons de l’Indus, se répand sur un immense territoire englobant toute la vallée de l’Indus et une partie du Gujarat indien. Il faut ajouter à la vaste zone de distribution de la civilisation de l’Indus quelques «colonies» harappéennes comme Suktagen Dor, sur les bords de la mer d’Oman, à la frontière irano-pakistanaise, et Shortugaï, près de l’Amou Darya, à la frontière afghano-tadjik, à près de mille deux cents kilomètres de Mohenjo-daro.Un des traits les plus frappants de la civilisation de l’Indus est l’uniformité de sa culture matérielle. La production artisanale de sites souvent éloignés les uns des autres par plusieurs centaines de kilomètres obéit à des critères techniques et stylistiques qui laissent peu de place à des variantes régionales. On a voulu parfois mettre en relation cette uniformité d’un artisanat souvent de très haut niveau sur le plan des procédés techniques, avec une conception autoritaire et centralisatrice de la civilisation de l’Indus. Il faut cependant rester prudent car la large diffusion de styles et de techniques similaires sur un vaste territoire n’a pas forcément une signification politique précise. Ainsi, vers 4000 avant J.-C., la céramique à décor de capridés, d’oiseaux et de motifs géométriques du style dit de Togau-A et de Kili Gul Mohammad est présente sur de très nombreux sites du Baluchistan, à la bordure de la vallée de l’Indus ainsi d’ailleurs qu’à Mundigak (période I), près de Qandahar en Afghanistan, sans que l’on puisse supposer l’existence d’une organisation politique autoritaire. Il est aussi probable qu’un examen plus minutieux des différents sites de la civilisation de l’Indus ferait apparaître des éléments de diversité plus importants qu’on ne l’imagine souvent. Ainsi, par exemple, les pratiques funéraires de Kalibangan ne sont pas les mêmes que celles de Harappa et, d’autre part, Mohenjo-daro a livré des milliers de figurines humaines en terre cuite, alors que Kalibangan et Lothal en sont pratiquement dépourvues.Il faut aussi tenir compte du fait que les grandes villes de la civilisation de l’Indus ont été fouillées dans la première moitié du XXe siècle, sous la direction de sir John Marshall et de ses collaborateurs, à une époque où les techniques stratigraphiques étaient encore rudimentaires. Ces fouilles ont néanmoins permis le dégagement rapide de nombreux hectares de ruines en brique cuite et d’un abondant matériel archéologique dont le contexte reste souvent très incertain. En outre, plusieurs mètres de dépôts archéologiques, correspondant aux phases anciennes de la ville de Mohenjo-daro, se trouvent aujourd’hui sous la nappe phréatique et n’ont jamais pu être fouillés. L’étude de ces niveaux anciens de Mohenjo-daro permettrait sans doute de mieux comprendre la relation de cette ville avec les agglomérations «chalcolithiques» antérieures.Mohenjo-daro et Harappa, qui ont dû compter plusieurs dizaines de milliers d’habitants, sont divisés en deux parties: une ville haute, souvent appelée «citadelle», et une ville basse. À Mohenjo-daro, dont les ruines sont mieux conservées, plusieurs monuments ont été dégagés dans la «citadelle», dont le plus célèbre est le «grand bain», sorte de vaste piscine rectangulaire, entourée de galeries soutenues par des piles carrées. Deux escaliers symétriques donnent accès à ce bassin dont l’étanchéité était assurée par des joints de bitume entre les briques. L’alimentation en eau se faisait grâce à un puits voisin et l’évacuation était assurée par une canalisation voûtée en encorbellement assez haute pour permettre le passage d’un homme.Dans la ville basse de Mohenjo-daro, rues et ruelles orientées nord-sud et est-ouest délimitent des blocs d’habitations réguliers, rectangulaires. Si l’on met parfois l’accent de façon exagérée sur l’urbanisme de la ville en voulant y voir une préfiguration des métropoles modernes, il n’en reste pas moins que Mohenjo-daro est tout à fait exceptionnel par la planification de ses architectures publiques et privées. Un vaste programme de recherche mené par une équipe d’architectes de l’université d’Aix-la-Chapelle a repris l’étude architecturale de ce site immense avec ses quartiers d’habitation et ses vastes zones d’activités artisanales. Ces recherches permettent déjà de mieux comprendre les plans des différents quartiers et leur chronologie interne.Les maisons des zones résidentielles, dont la superficie varie entre 50 et 120 mètres carrés, avaient généralement un étage auquel on accédait par un escalier intérieur. Parfois elles possédaient dans leur cour un puits privé construit en briques trapézoïdales. Dans les autres cas, des puits publics assuraient l’approvisionnement en eau. Les maisons étaient équipées d’une pièce dallée, servant de salle de bains, dont les eaux usagées étaient évacuées par une rigole en plan incliné qui conduisait au caniveau desservant la rue; celui-ci, à son tour, rejoignait un égout collecteur sur un axe plus important. À intervalles plus ou moins réguliers, des fosses de décantation plus profondes coupaient le cours des égouts afin de retenir les détritus qui risquaient d’obstruer l’écoulement.À l’inverse des autres villes de l’Orient ancien dont le développement est resté désordonné, les différents quartiers de Mohenjo-daro ont été reconstruits plusieurs fois selon des règles strictes de planification, entraînant chaque fois le réaménagement en bloc du système urbain d’égouts, de canalisations et de puits. La coordination de tels travaux suppose l’existence d’une autorité publique, et le fonctionnement d’un système sanitaire aussi développé implique la présence d’une classe de vidangeurs.Aucun des bâtiments de Mohenjo-daro ou de Harappa ne peut être interprété comme un palais ou comme un temple. Aucune des tombes fouillées ne se distingue des autres par son mobilier funéraire. Aucune sculpture, aucun bas-relief ne portent le témoignage de la puissance d’éventuels rois ou prêtres. Les œuvres en ronde bosse sont d’ailleurs très rares. La représentation dominante est celle d’un personnage barbu en position accroupie; la pièce la plus originale est un fragment en stéatite blanche de Mohenjo-daro: le buste d’un personnage barbu, coiffé d’un bandeau, et portant un vêtement décoré de motifs en trèfle. Cette statuette est souvent considérée, sans raison véritable, comme représentant le «roi-prêtre» de Mohenjo-daro. Nous ne possédons pas non plus de tablettes qui puissent, comme en Mésopotamie, nous fournir des archives historiques. Quant à la glyptique qui, en Mésopotamie, nous offre de très nombreuses représentations royales et religieuses, elle semble également être d’une autre nature dans la vallée de l’Indus, où de nombreux cachets rectangulaires en stéatite blanche ont été découverts (plus de mille deux cents pour le seul site de Mohenjo-daro). Ces cachets portent de courtes inscriptions dans une écriture qui comprend quatre cents signes pictographiques, sans grande ressemblance avec les autres écritures contemporaines de l’Asie occidentale. On a tenté à plusieurs reprises de les déchiffrer, en partant le plus souvent de l’hypothèse que l’on se trouvait en présence d’une langue proto-dravidienne; néanmoins, le sens de ces inscriptions nous échappe toujours. Les représentations gravées sur ces cachets sont peu variées; la plupart d’entre eux sont décorés d’un quadrupède avec une longue corne, le célèbre unicorne, auquel était attachée sans doute une valeur emblématique et symbolique particulière; d’autres animaux – zébus, buffles, rhinocéros, tigres, éléphants, crocodiles et animaux composites – apparaissent aussi sur ces sceaux. D’autres cachets portent des représentations plus complexes, manifestement mythologiques, dans lesquelles figure un personnage doté d’une coiffure à cornes. Celui-ci apparaît dans un arbre «pipal» devant lequel se prosterne un autre personnage. Cette même coiffure à cornes est l’attribut d’un autre personnage masculin (peut-être s’agit-il en fait du même personnage) assis, les jambes pliées à la façon des yogins; il est entouré d’animaux divers qui l’ont fait interpréter par de nombreux spécialistes comme une représentation d’un proto-Çiva en «maître des animaux» (Pasupati). Une telle interprétation n’a d’ailleurs rien d’invraisemblable puisque l’on sait que la religion hindouiste a incorporé de nombreux éléments pré-védiques; mais, en l’absence d’inscriptions déchiffrées, il convient de rester prudent.La fouille de Harappa ne fournit pas d’éléments susceptibles de nous éclairer sur l’organisation politique de la civilisation de l’Indus. La citadelle est une énorme terrasse artificielle de 3 mètres de haut qui couvre près de 8 hectares; elle est entourée d’un mur massif de brique crue, revêtu à l’extérieur d’un parement de brique cuite, et percé de portes auxquelles on accédait par des rampes. Les destructions provoquées par l’utilisation de ces ruines comme source de matériaux de construction sont telles que les bâtiments fouillés sont trop fragmentaires pour pouvoir être étudiés en détail. Un des édifices les plus intéressants de Harappa, situé au bord de l’ancien cours de la Ravi, affluent de l’Indus, est constitué par un ensemble de murets parallèles, formant un bloc rectangulaire séparé en deux par une allée centrale. Il s’agit sans doute d’un vaste entrepôt auquel on accédait par des escaliers. Cet entrepôt pourrait être un descendant des magasins à compartiments de la période néolithique de Mehrgarh. Tout près de cette construction, de nombreuses aires circulaires en brique cuite semblent avoir été utilisées pour le broyage des céréales. Signalons que l’on a attribué une fonction similaire d’entrepôt ou de grenier à blé à tout un ensemble de plates-formes se trouvant dans la citadelle de Mohenjo-daro.Aucun bâtiment ne peut être considéré comme un palais ou comme faisant partie d’un complexe religieux; les spacieuses demeures de la ville basse de Mohenjo-daro suggèrent l’existence d’une classe aisée dont le poids politique pourrait expliquer le caractère très original de la civilisation de l’Indus, plus tournée vers les réalisations de type utilitaire que vers les manifestations architecturales et artistiques de prestige. Par opposition aux quartiers résidentiels, d’autres zones de Mohenjo-daro et de Harappa sont constituées par des enfilades de petites maisons de deux pièces qui pourraient avoir servi d’habitation aux classes inférieures.La production céramique a un caractère utilitaire affirmé; la plupart des récipients en pâte rouge bien cuite et sans décor obéissent à un répertoire de formes standardisées que l’on retrouve sans grande variante sur tout le territoire de diffusion de cette civilisation. Quant aux rares ornements, feuilles de pipal, paons, cercles sécants ou motifs en écailles, ils dérivent de ceux que l’on trouve sur la poterie des cultures locales antérieures, mais ils sont maintenant traités dans un style relativement stéréotypé. Les figurines de terre cuite sont très abondantes, mais plus variées qu’auparavant. Certaines montrent des femmes en train d’accoucher ou d’accomplir des tâches domestiques, d’autres représentent des personnages féminins couverts de parures, dans la droite ligne des représentations des sites du Chalcolithique. Parfois apparaissent des personnages caricaturaux. Les figurines animales, en particulier celles de taureaux et de buffles, sont souvent d’une très grande élégance. Certaines de ces figurines de taureaux étaient attelées à des chariots en terre cuite dont on a retrouvé des milliers d’exemplaires. Ces chariots ressemblent d’ailleurs beaucoup à ceux qui sont encore aujourd’hui en usage dans la région de Mohenjo-daro. Quant au métal, surtout le cuivre mais aussi le bronze, il a été utilisé pour la fabrication d’armes, principalement des lames et des haches plates sans collet d’emmanchement, des objets d’usage quotidien, miroirs, rasoirs, pots à fard et récipients divers. Le métal a été aussi utilisé pour fabriquer de petites figurines représentant des animaux – buffles, taureaux, béliers, chèvres, etc. – dont certaines sont modelées avec un naturalisme remarquable. La plus célèbre des statuettes de bronze est la danseuse de Mohenjo-daro qui, malgré des membres graciles, possède une attitude pleine de vitalité. Une autre statuette, en pierre, dont ne subsiste que le torse, pourrait représenter un danseur. Mais cette pièce trouvée à Harappa comme un autre torse en grès rouge provenant du même site possèdent un modelé proche des traditions de l’art hellénistique qui inspirera une partie de la statuaire kouchane (IIe s. av. J.-C.-IIe s. apr. J.-C.). Le site de Harappa, qui a été occupé de nouveau à la période historique, a livré des monnaies et des figurines de l’époque kouchane; aussi l’attribution des deux torses à la civilisation de l’Indus reste-t-elle problématique en l’absence d’une stratigraphie très précise.Les artisans de l’Indus ont aussi produit des statuettes animales en faïence, représentant parfois des groupes, écureuils grimpant à un arbre ou guenons épouillant leurs petits. L’art de la parure est également de qualité, comme le montrent les ensembles de bijoux en or, en ivoire et en pierres semi-précieuses découverts dans les ruines des villes de l’Indus. Cependant, les zones de provenance de ces bijoux sont très variées et ne permettent pas d’isoler des aires de concentration de richesses à mettre en rapport avec des groupes distincts de la société. Il en va de même lorsque l’on aborde l’étude du mobilier funéraire des cimetières de l’Indus où les tombes contiennent seulement quelques poteries et un petit nombre d’objets et d’ornements personnels. Rien dans ces nécropoles n’indique l’existence d’élites comme celles qui, en Mésopotamie, ont accumulé d’impressionnants trésors dans leurs tombes, notamment au cimetière royal d’Ur.En l’absence de documents écrits et de tablettes de comptabilité, comme on en possède pour le monde mésopotamien, il est difficile de connaître les bases économiques et commerciales de la civilisation de l’Indus. Cette période correspond sans doute à la mise en valeur intensive du potentiel agricole des fertiles limons de l’Indus. Les études paléobotaniques des sites harappéens sont encore très limitées, mais il apparaît que ce sont les céréales, blé et orge, cultivées depuis le Néolithique qui prédominent; les espèces qui deviendront très importantes au IIe millénaire, comme le riz, le sorgho et diverses variétés de millet, semblent encore être inconnues. La culture du coton est attestée par des empreintes relevées sur des poteries.Dans les villes de l’Indus, les activités commerciales ont dû jouer un rôle important. Rappelons que, l’argile mise à part, les habitants de la vallée alluviale ont été obligés d’importer tous les matériaux nécessaires au fonctionnement d’une telle civilisation urbaine. Dans les ruines, on reconnaît parfois l’emplacement de boutiques dont la disposition évoque les rues des bazars actuels. Des milliers de petits cubes soigneusement polis en calcaire, stéatite, calcédoine et autres pierres révèlent l’existence d’une gamme de poids qui combine système binaire et système décimal. Autour de l’unité de poids de 13,625 grammes s’organise une série de sous-multiples, 1/2, 1/4, 1/6, 1/8 et 1/16, et de multiples, 2, 4, 10, 20, 40, 100 jusqu’à 800.Il est difficile d’évaluer la part qu’a pu tenir le commerce international, notamment avec la Mésopotamie, dans la vie économique de la civilisation de l’Indus. Les archives mésopotamiennes mentionnent l’existence d’un commerce avec des pays orientaux, Dilmun, Makkan et Meluhha, d’où l’on importait, entre autres choses, de l’or, du cuivre, des pierres semi-précieuses et de l’ivoire. La vallée de l’Indus pourrait faire partie de Meluhha qui, d’après les textes, est la contrée la plus lointaine et la plus orientale par rapport à la Mésopotamie. Lothal, le plus important des sites harappéens découverts au Gujarat, sur la côte nord-ouest de l’Inde, est souvent considéré comme un port qui aurait pu tenir une place importante dans les échanges commerciaux entre la civilisation de l’Indus et le monde mésopotamien. Ainsi le grand bassin rectangulaire en brique cuite, découvert à Lothal, en bordure du site, pourrait être un dock où auraient mouillé les bateaux de commerce, à proximité d’une zone d’entrepôts où l’on a trouvé de très nombreuses empreintes de sceaux qui auraient servi à sceller les ballots de marchandises. Ces éléments, ainsi que la découverte en surface, toujours à Lothal, d’un sceau circulaire dont le style est proche de celui d’un ensemble de cachets provenant de sites de la région du golfe Arabique (aujourd’hui identifiée avec le Dilmun des textes) que l’on peut dater entre 2000 et 1900 avant J.-C., sont considérés comme la preuve de l’existence d’un commerce entre le monde harappéen et la Mésopotamie. Signalons cependant que l’identification du bassin de Lothal comme dock pour le mouillage des bateaux est sujette à caution. Par ailleurs, le sceau de Lothal, que l’on peut rapprocher aussi de deux exemplaires de Chanhu-daro, également dans le style du Golfe, est un document pour l’instant isolé. Les objets de facture harappéenne découverts en Mésopotamie ou en Susiane, dont les plus connus sont une série de sceaux dans le style de l’Indus ou imitant ce style, sont peu nombreux. Aussi est-il difficile d’apprécier le volume et le rôle des échanges économiques entre les deux grandes civilisations urbaines du IIIe millénaire. Toutefois, la présence d’un nombre grandissant d’objets harappéens sur les sites des émirats du Golfe peut être reconnue comme une preuve de liens maritimes. On sait grâce à deux représentations, l’une sur un sceau, l’autre sur une empreinte d’argile, que les Harappéens savaient construire des bateaux qui ressemblent d’ailleurs à ceux que l’on utilise encore sur l’Indus.6. Les rapports de la civilisation harappéenne avec l’Asie centrale et la fin des villes de l’IndusLa fin de la civilisation de l’Indus, vers 1800 avant J.-C., a presque toujours été considérée comme un phénomène brutal à caractère dramatique. On a très souvent attribué cette fin à l’action d’envahisseurs originaires d’Asie centrale qui auraient précédé les migrations indo-européennes ou en auraient constitué la première vague. Ces nouveaux arrivants, pasteurs nomades de nature belliqueuse, auraient alors pillé les villes et détruit de façon durable l’économie sédentaire agricole des plaines. Ainsi s’expliquait le vide archéologique que l’on croyait voir régner dans ces régions jusqu’au Ier millénaire, et qui marquait une rupture complète entre les cultures chalcolithiques et harappéennes d’une part et la civilisation de l’Inde historique d’autre part. Pour d’autres spécialistes, ces invasions ou migrations auraient été favorisées par des catastrophes naturelles, épuisement des sols, série d’inondations exceptionnelles ou mouvements tectoniques barrant le cours de l’Indus. Nous ne possédons cependant aucune indication sur de tels phénomènes qui ne peuvent expliquer les mécanismes complexes de transformation des sociétés du IIe millénaire.Pour une nouvelle approche de ces problèmes d’invasions, il faut considérer les progrès faits dans le domaine des recherches archéologiques en Asie centrale, foyer de ces éventuels mouvements de populations pastorales. Les travaux soviétiques ont révélé en effet l’existence en Turkménie méridionale d’une importante phase urbaine, celle de Namazga V, où de grandes villes comme Altin Tépé et Namazga Tépé entretiennent, vers 2000 avant J.-C., des relations avec la civilisation de l’Indus. L’extrême fin du IIIe millénaire et les premiers siècles du IIe millénaire correspondent dans l’Afghanistan occidental et l’Ouzbekistan méridional à l’épanouissement de la civilisation de l’âge du bronze en Bactriane. Cette époque voit en particulier la construction de l’impressionnant palais de Dashly; les nécropoles contiennent un mobilier funéraire qui atteste par sa richesse la prospérité de l’époque. La glyptique et la statuaire de la Bactriane révèlent alors, sur le plan iconographique, des liens très prononcés avec le monde iranien de la période élamite, tout comme d’ailleurs la métallurgie et l’orfèvrerie.C’est en tenant compte de cette phase de prospérité, marquée par de forts courants d’échanges entre le monde élamite, l’Iran oriental et l’Afghanistan, qu’il faut à présent réexaminer les rapports entre les complexes culturels d’Asie centrale méridionale, en bordure du subcontinent, et la vallée de l’Indus. Ces contacts paraissent d’ailleurs avoir été plus directs qu’on ne l’imaginait, comme viennent de le montrer la découverte et la fouille d’une véritable colonie harappéenne à Shortugaï, en Bactriane orientale, à la frontière afghano-tadjik. Par un curieux phénomène de parallélisme, une nécropole dont le mobilier funéraire est proche de celui des cimetières de la Bactriane de l’âge du bronze vient d’être découverte dans la zone sud du site de Mehrgarh. Ce site, dans le nord de la plaine de Kachi qui appartient au système géographique de l’Indus, a été occupé, nous l’avons vu, dès le Néolithique, et la présence d’une telle nécropole, dont le matériel semble marquer une rupture par rapport aux traditions locales antérieures, soulève de nombreuses questions. À cette nécropole, on peut ajouter la découverte à Sibri, près de Mehrgarh et à proximité du site harappéen de Nowsharo, d’un établissement appartenant au même ensemble culturel, apparenté à la Bactriane de l’âge du bronze. La fouille de ce site, malheureusement très érodé, a permis de dégager des bâtiments de brique crue et des installations domestiques et artisanales, en particulier des fours, dont un four à tuyère rempli de scories de métal. Deux sceaux-cylindres, dont le style se rapproche de celui de la glyptique iranienne datant du début du IIe millénaire, ont été retrouvés associés à une amulette portant deux caractères de l’écriture de l’Indus. Ces découvertes permettent d’apprécier l’importance des contacts qui se sont établis vers 2000 avant J.-C. entre des groupes en relations culturelles étroites avec les populations de la Bactriane de l’âge du bronze ou de la province voisine de Margiane (delta de la Murgab) et les habitants de la vallée de l’Indus. Ainsi s’expliquent mieux les ressemblances de nombreux objets en cuivre et en bronze trouvés dans des villes de l’Indus et dans différents sites d’Asie centrale, en particulier de la Bactriane. Il est aussi possible que la présence, en lisière de la vallée de l’Indus, de groupes appartenant à des traditions culturelles différentes ait pu jouer un rôle dans le processus de déstabilisation du système harappéen au cours des premiers siècles du IIe millénaire. Des phénomènes nouveaux, comme l’introduction du cheval et du chameau de Bactriane vers 1800-1700 avant J.-C. à Pirak, le seul site post-harappéen fouillé dans les régions géographiquement rattachées à la vallée de l’Indus, ont pu être favorisés par l’implantation de groupes en contact avec des pays où ces espèces ont été domestiquées dès le IIIe millénaire.Le site de Pirak, à 20 kilomètres à l’est de Mehrgarh, fouillé de 1968 à 1974, est constitué par les ruines d’un gros bourg, sans doute un centre d’activités régionales, occupé sans bouleversement notable de 1700 à 800 avant J.-C. Cette agglomération, bordée à l’ouest par un grand canal en brique, est divisée en quartiers dont les maisons sont construites selon un plan complexe et stéréotypé, parfois séparées par des cours encombrées de vestiges d’activités artisanales. Mais la prospérité de ce site repose sur sa richesse agricole, comme il se doit dans la plaine de Kachi que l’on baptise, en dépit de son aridité, le grenier du Baluchistan. Des zones de silos circulaires et des aires de battage ont permis de retrouver les traces de restes végétaux qui montrent que le début du IIe millénaire correspond, dans le système de l’Indus, à une remarquable diversification de l’agriculture par rapport au IIIe millénaire. Aux céréales qui étaient auparavant cultivées, comme le blé, l’orge et l’avoine, viennent en effet s’ajouter de nouvelles espèces, le sorgho (sorghum sp. ), le riz (ozyza sativa ) et le millet (panicum sp. et panicum miliaceum ). Alors que le blé et l’orge sont des céréales d’hiver, ces nouvelles espèces sont des céréales d’été. Nous assistons donc à la mise en place d’un système de double récolte annuelle qui constitue encore de nos jours les assises de l’économie agricole des régions alluviales du subcontinent.L’expansion de la civilisation harappéenne vers des zones périphériques au système de l’Indus et l’élargissement de ses contacts avec d’autres régions peuvent contribuer à expliquer de telles transformations de l’agriculture. On a souvent souligné qu’une telle expansion, ouvrant la voie à de nouvelles ressources, a favorisé l’épanouissement de cette civilisation dans sa phase de maturité, sans doute vers la fin du IIIe millénaire; l’apparition de villages plus ou moins soumis à l’influence harappéenne dans la partie occidentale de la vallée du Gange marque le début de contacts avec des régions où le riz est exploité dès le IVe millénaire avant J.-C. Quant au sorgho, originaire d’Afrique, sa présence est attestée au IIIe millénaire dans les Émirats arabes unis du Golfe, en particulier sur le site de Hili, régions avec lesquelles la civilisation de l’Indus, nous l’avons vu, a de nombreux contacts entre 2000 et 1900 avant J.-C.L’ouverture du système harappéen vers d’autres régions a probablement eu aussi comme conséquence à long terme de favoriser le déclin de cette civilisation et son remplacement par de nouveaux types d’organisations sociales et économiques. L’adaptation au milieu alluvial de produits dont l’exploitation était restée limitée à leurs zones d’origine, du fait des contraintes géographiques, a sans doute provoqué une seconde révolution agricole dans les premiers siècles du IIe millénaire, non moins importante que celle qui, au Néolithique, avait marqué l’histoire du subcontinent. Les structures politiques et sociales des villes de l’Indus, dont l’économie reposait largement sur la culture des céréales d’hiver et, sans doute, sur l’irrigation par inondation, ne se sont plus trouvées adaptées aux conditions nouvelles. La culture du riz modifie les techniques d’irrigation, celle du sorgho permet la mise en exploitation de vastes terrains, grâce à sa résistance en milieu semi-aride. Le système de la civilisation de l’Indus, point d’aboutissement de tout un processus culturel dont l’origine remonte à la période néolithique de sites comme Mehrgarh, se fractionne alors pour laisser la place à des entités régionales comme celles de la culture de Pirak dont de nombreux caractères survivent aujourd’hui, pratiquement inchangés, dans les agglomérations de la plaine de Kachi.7. Le IIe millénaire dans le système de l’Indus et les régions adjacentesLes fouilles de Pirak fournissent pour la première fois une documentation solide sur la vie d’une grosse bourgade entre 1700 et 700 avant J.-C., à la bordure occidentale de la vallée de l’Indus. Cette ville, située comme Mehrgarh au pied du col de Bolan, l’un des grands axes de communication avec l’Asie centrale, a donc été contemporaine, à un moment ou un autre de son occupation, de l’important phénomène qu’est, pour l’histoire du subcontinent, la diffusion des langues indo-européennes et de la religion védique. La culture de Pirak est un mélange de traditions régionales antérieures (cultures de Quetta et de l’Indus, complexe de Sibri et de la nécropole sud de Mehrgarh) et d’éléments nouveaux. Les importants changements dans le domaine de la vie matérielle s’accompagnent de profondes transformations sur le plan culturel. Ainsi, les figurines féminines et les statuettes de taureaux en terre cuite, liées depuis le Néolithique à un symbolisme de fécondité, deviennent rares et sont remplacées par des représentations de chameaux, de chevaux, de cavaliers à tête d’oiseau. Un prestige particulier s’attache sans doute à ces nouveaux animaux dont la présence modifie les possibilités de déplacement, de transport et d’expéditions en tout genre. Rappelons que le rôle du cheval dans les activités de pillage est un thème souvent traité par la littérature védique dont les textes les plus anciens ont été sans doute composés dès le IIe millénaire. En dépit des bouleversements importants qui marquent cette période, la culture de Pirak fait preuve d’une grande continuité; même l’apparition du fer vers 1200-1100 avant J.-C., accompagnée d’une nouvelle céramique grise tournée, ne semble pas modifier très profondément le mode de vie des habitants du site.Au nord de la plaine de l’Indus, dans les vallées himalayennes du Swat, le cheval et la culture du riz apparaissent aussi au début du IIe millénaire. Cette région était occupée, au IIIe millénaire, par des villages à habitats en fosses, associés à une culture néolithique tardive apparentée à celle du Cachemire, notamment à Burzahom. À cette période des contacts sont établis avec les plaines, comme le prouve la présence de quelques tessons de facture harappéenne. Par la suite, les relations avec les frontières septentrionales du subcontinent expliquent partiellement le caractère très original de ces cultures du Swat et de leurs riches cimetières, qui s’échelonnent sur tout le IIe millénaire jusqu’à l’apparition du fer.Dans le Sind même, à cette époque, la culture de Jhukar ne nous est guère connue que par la céramique, qui dérive de celle de la période harappéenne. Cette poterie et quelques sceaux circulaires trouvés dans les niveaux supérieurs de Chanhu-daro constituent une maigre source d’information. À Harappa, la présence, à côté de la nécropole de l’époque de la civilisation de l’Indus, d’un cimetière appelé «cimetière H» a été l’objet de nombreuses spéculations. Ce cimetière comprend deux niveaux: le plus profond est constitué par des tombes riches en poteries, le second correspond à des inhumations en jarres. La poterie de ce cimetière H est très originale: elle porte des décors de taureaux, de personnages à la chevelure rayonnante et de paons. Par sa technique, elle se rattache à la céramique harappéenne. Quant aux motifs décoratifs, ils sont un curieux mélange des styles pré-harappéens, harappéens classiques et de traits nouveaux. Une exploration dans l’ancien État de Bahawalpur, le long de la Hakra, un ancien affluent oriental de l’Indus, a permis la découverte de nombreux sites pré-harappéens ou harappéens anciens (culture de Kot Diji), harappéens classiques et harappéens tardifs en liaison avec la poterie du cimetière H. Dans ce contexte, la poterie du cimetière H, présente sur 72 tépés, dont certains de taille respectable, est manifestement dérivée de celle des sites harappéens classiques dont 166 ont été répertoriés dans cette même région. Seules des fouilles permettront de comprendre le passage entre ces deux phases culturelles qui semblent étroitement reliées. La taille de certains sites à poterie du type «cimetière H», couvrant plusieurs hectares, est une preuve de plus que le début du IIe millénaire est une période de transformation et non pas de rupture et de retour au semi-nomadisme, comme on le supposait auparavant.À l’est du système de l’Indus, dans le nord-ouest du Rajasthan, le long de la Ghaggar qui coule au Pakistan sous le nom de Hakra, et au Punjab indien, nous entrons dans des zones marginales par rapport à la civilisation de l’Indus. Kalibangan, dans le prolongement des sites de l’ancien état de Bahawalpur, qui possède des niveaux pré-harappéens recouverts par une véritable petite ville harappéenne, semble être abandonné brusquement. Plus à l’est, dans le Punjab indien et en Haryana, la situation semble différente. Là, l’influence harappéenne, très forte sur des sites comme Bara et Rupar, n’a jamais éliminé les styles antérieurs, mélanges des traditions décoratives des cultures des piémonts du Baluchistan et des cultures pré-harappéennes de la vallée de l’Indus.C’est ce style composite que l’on rencontre également à Mitathal et que l’on voit se prolonger, mêlé d’éléments qui rappellent le cimetière H de Harappa, tout au long du IIe millénaire.8. Le développement de l’économie villageoise dans la vallée du Gange du IIIe au Ier millénaire. Les caches de cuivreNous avons déjà mentionné l’existence de petits villages ou de campements de communautés de chasseurs, pêcheurs et cueilleurs, apparemment descendus des zones montagneuses de l’Inde centrale. Il nous a semblé que certains de ces villages dits «mésolithiques» ou «néolithiques» ne devaient guère être antérieurs au Ve-IVe millénaire avant J.-C., leurs niveaux intermédiaires étant généralement datés du IIe millénaire. Ces villages ont été découverts principalement dans la région de Allahabad. Le village de Chirand, avec ses huttes circulaires, est sans doute habité dès le IIIe millénaire par une population qui pratique l’agriculture – principalement la culture du riz – et l’élevage, mais dont les activités de chasse et surtout de pêche restent importantes. L’ensemble des trouvailles consiste principalement en lames, en microlithes de silex ou de calcédoine, en haches de pierre polie, en de très nombreux outils et objets en os et en bois de cervidés et enfin en une poterie grossière grisâtre ou rougeâtre. D’autres villages, comme Mahagara ou Koldihwa, dans la même région, nous offrent une image assez semblable: la poterie est mêlée de paille de riz et porte en surface des impressions de vannerie et de corde; on y retrouve des haches de pierre polie, des microlithes et un artisanat sur os, ainsi que, dans les niveaux supérieurs, des objets en cuivre. De même type de poterie a été également découvert sur des sites de l’Inde orientale, notamment en Assam, associé à des haches à épaulement en pierre polie qui évoquent le Néolithique de la Chine méridionale.Les villages de la plaine moyenne du Gange, au IIIe et au début du IIe millénaire, paraissent très clairsemés. Ils ne représentent qu’un stade encore limité de la mise en valeur d’une vallée toujours recouverte d’une épaisse forêt de mousson. Cependant, dans la partie occidentale de la plaine du Gange jusque dans la région de la ville actuelle de Delhi, de nombreux villages sont fondés dans la première moitié du IIe millénaire, notamment à Alamgirpur, Ambakheri et Bargaon. Ces villages possèdent une culture matérielle proche de celle de sites comme Rupar ou Bara qui, en marge de la civilisation de l’Indus, ont subi, nous l’avons vu, une forte influence harappéenne tout en conservant des caractères originaux. Leur occupation se poursuit sans changement notoire pendant tout le IIe millénaire; c’est ainsi que des traditions culturelles originaires de la vallée de l’Indus pénètrent dans le monde jusqu’alors clos de la plaine du Gange.Bien avant la découverte des petits villages que nous venons de mentionner, la plaine du Gange et surtout la région du Doab (zone située entre le Gange et la Jumna) ont livré un ensemble de caches d’objets de cuivre. Plus d’un millier d’objets de métal ont été en effet retrouvés dans trente-sept caches dont la moitié était située dans le Doab. On y a découvert des harpons à barbelure, des épées à antennes, des haches plates, des pointes de lances et de curieux objets d’aspect anthropomorphe. Dans les caches situées dans la partie orientale de la vallée du Gange, on note la présence de haches à épaulement qui semblent copier des prototypes en pierre polie dont nous avons signalé l’existence à propos des villages néolithiques de ces régions. La date de ces caches est restée longtemps mystérieuse. Cependant, la découverte de quelques objets semblables à ceux de ces caches à Saipai, dans le Doab, en association avec des tessons de poterie dérivée de la tradition harappéenne, dans le style composite du IIe millénaire, permet de relier ces découvertes fortuites à un contexte culturel. La présence d’un harpon à barbelure à Mitathal, site du Punjab où, comme nous l’avons vu, les formes culturelles harappéennes composites se mêlent à des éléments rappelant la culture du cimetière H, confirme les observations faites à Saipai.Il est probable que l’on puisse proposer le même type d’association culturelle pour un ensemble distinct de caches situées à proximité des mines de cuivre du Rajasthan méridional. De Ganeshwar (district de Sikar) proviennent plus de quatre cents pointes de flèches, une cinquantaine de haches plates et un nombre égal d’hameçons de cuivre. La découverte d’hameçons de métal sur plusieurs sites de pêcheurs «mésolithiques» du Rajasthan et du Gujarat, dans un contexte que divers objets permettent de situer au IIe millénaire, nous indique que des groupes de prédateurs ont fait partie de la clientèle des forgerons dont les caches nous restituent aujourd’hui les productions. Une autre cache du Rajasthan, à Khurdi, contenait une centaine d’objets de métal dont des bols à long bec en gouttière. On a rapproché cette forme des récipients provenant des nécropoles de Sialk et de Giyan, liées aux migrations de populations indo-européennes à travers le plateau iranien au cours du IIe millénaire. Cette influence iranienne expliquerait aussi la présence de bols à bec en gouttière dans la céramique de Malwa, en Inde centrale, au milieu du IIe millénaire, dont nous parlerons plus loin. Mais nous avons de bien meilleurs prototypes aujourd’hui pour ce genre de forme dans la région même de l’Indus, en particulier à Sibri, site dont nous avons souligné les affinités avec la culture de la Bactriane de l’âge du bronze. À Sibri, en effet, où la métallurgie semble avoir été très productive autour de 2000 avant J.-C., les bols à bec en gouttière sont, tout comme en Bactriane, une forme relativement courante.L’association que l’on peut maintenant établir entre, d’une part, la diffusion vers la vallée du Gange et le Rajasthan de pratiques artisanales et de traditions culturelles originaires de la vallée de l’Indus et des piémonts du Baluchistan et, d’autre part, la multiplication de caches d’objets de cuivre est un élément important pour comprendre les phénomènes qui font de la première moitié du IIe millénaire une période charnière de l’histoire du subcontinent. Les phénomènes d’interdépendance des populations villageoises et des groupes qui, à la périphérie du système harappéen, pratiquaient encore au IIIe millénaire une économie submésolithique ou subnéolithique, tout comme l’intégration progressive, sans doute dès le IIIe millénaire, de ces économies marginales dans un vaste réseau d’échanges, ont favorisé la diffusion et l’adaptation de nouvelles ressources dans des milieux géographiques et culturels différents. Il est évident que l’introduction du riz dans les grandes plaines irriguées du système de l’Indus donne à cette céréale un poids économique qu’elle n’avait pas encore dans le cadre des villages isolés de la vallée du Gange dont elle est originaire. Si la vallée du Gange est encore couverte d’épaisses forêts baignant dans d’immenses marécages qui en font un excellent terrain de chasse et de pêche, elle est déjà parcourue par des commerçants ou des artisans itinérants dont les caches jalonnent les rives du fleuve jusqu’au Bihar, où se trouvent les plus grands gisements de cuivre et de fer du monde indien. Le type des objets découverts dans ces caches – hameçons, harpons à barbelure et haches et ciseaux imitant parfois des prototypes de pierre polie – indique bien leur association à des groupes de prédateurs dont l’économie a sans doute été modifiée par ces nouvelles possibilités d’échanges et d’investissements. Le début de l’exploitation des mines du Bihar, qui assureront plus tard la puissance économique des premiers grands royaumes de l’Inde historique, explique sans doute la richesse de certaines de ces caches. Ainsi, à Gungeria, en Madhya Pradesh, au sud du Bihar, près de 400 kilogrammes d’objets de cuivre et 100 feuilles d’argent en forme de bucranes ont été découverts.Le développement de la métallurgie a facilité le défrichement de la plaine du Gange et la mise en place d’une agriculture à l’échelle de celle de la plaine de l’Indus. Ce n’est d’ailleurs qu’avec l’apparition du fer que cette étape semble être atteinte vers 900 avant J.-C., lorsque les premiers objets fabriqués dans ce métal apparaissent, associés à une céramique grise parfois décorée de motifs géométriques peints en noir (Painted Grey Ware ). On constate à cette époque une multiplication des sites dans la vallée du Gange, que l’on relie à la période formative des premières principautés brahmaniques dont le souvenir s’est perpétué dans la littérature védique et post-védique. Des sondages révèlent, sur la plupart des sites et des centres de la période historique, un horizon ancien correspondant à cette céramique grise peinte que l’on peut dater entre 900 et 500 avant J.-C. On a longtemps cru qu’il existait une rupture entre les sites de la tradition harappéenne tardive et composite et les établissements contenant de la poterie grise peinte et du fer; des fouilles comme celles de Bhagwanpura ou de Dhaderi montrent qu’il n’y a pas de cassure; des formes et des décors dérivés de la tradition harappéenne survivent et coexistent avec la première céramique grise. Il est d’ailleurs intéressant de noter que la céramique grise qui apparaît à Pirak en même temps que le fer, mais sans rupture par rapport aux périodes précédentes, ressemble beaucoup à la poterie grise de certains sites de la vallée du Gange.9. Les cultures du IIe millénaire au Gujarat, au Rajasthan, en Inde centrale et dans la partie septentrionale du plateau du DeccanLes recherches entreprises au Gujarat ont permis d’identifier une vingtaine de sites qui peuvent être considérés comme directement reliés à la tradition harappéenne classique. Le site le mieux connu est Lothal, dont nous avons parlé à propos du commerce de la civilisation de l’Indus. Au IIe millénaire, Lothal semble connaître une phase de déclin comparable à ce que l’on peut noter dans les autres villes de la vallée de l’Indus. Les caractères urbains disparaissent progressivement et le site se transforme en gros village. En revanche, le nombre de sites dont la culture matérielle correspond à la phase harappéenne tardive post-urbaine augmente de façon spectaculaire (presque cent sites). Un site comme Rangpur, où l’on a trouvé des restes de riz, est même de dimensions relativement importantes.Avant même la fin du IIIe millénaire, les régions situées à la périphérie de la zone d’expansion de la civilisation harappéenne au Rajasthan et au Gujarat commencent à se peupler de villages. Toutefois, c’est au cours du IIe millénaire que ces villages deviennent nombreux et s’intègrent dans des ensembles culturels originaux en Inde centrale, au Malwa en particulier, et sur le plateau du Deccan. Ces villages sont le plus souvent formés de huttes rondes ou oblongues dont le sol, comme de nos jours, est en terre battue mêlée de bouse de vache. Ces sites sont occupés jusqu’à l’âge du fer sans changement notable, si ce n’est dans l’évolution des industries céramiques dont les styles permettent de distinguer différentes périodes. Ces populations pratiquent l’agriculture: le blé est attesté dès les phases les plus anciennes, le riz sans doute dès 1500 avant J.-C. La question du millet et du sorgho n’est pas encore résolue; ces céréales, qui jouent un rôle capital dans la vie agricole des provinces au sol noir (black cotton soil ) du Deccan, sont associées aux niveaux du début du Ier millénaire (la période de Jorwe), mais elles pourraient être présentes à Ahar vers 2000 avant J.-C., dans un contexte stratigraphique malheureusement peu sûr. Les zébus, les chèvres, les moutons et les cochons sont présents sur tous ces sites. De nombreuses figurines en argile, représentant des taureaux à bosse, proviennent de certains sites de l’Inde centrale comme Kayatha. Dans la suite de la tradition «mésolithique» de ces régions, on trouve sur la plupart de ces sites une belle industrie lithique, comprenant des microlithes en pierres semi-précieuses: les haches de pierre polie restent très abondantes sur les sites du Deccan. Cependant, la métallurgie du cuivre paraît jouer un rôle important. Ainsi à Ahar (Udaipur), à proximité des mines de cuivre du Rajasthan, un des rares sites pratiquement sans industrie lithique, le cuivre est abondant et des scories indiquent la présence d’une métallurgie active. Il semble qu’Ahar soit une des agglomérations les plus anciennes dans cette zone; elle est contemporaine, dans sa première phase, de la période harappéenne du Gujarat. On note d’ailleurs à Lothal, dont le cuivre pourrait venir de ces mines, la présence d’une céramique noire et rouge mêlée à de la poterie harappéenne. La région d’Ahar pourrait être un des berceaux de cette céramique que l’on retrouve dans toute la péninsule indienne: depuis la vallée du Gange, souvent associée à la céramique grise peinte, jusque dans le sud où on la découvre dans les monuments mégalithiques autour de notre ère. Pour cuire ces récipients, on plaçait leur embouchure sur le sol du four; l’intérieur et une partie de la lèvre externe cuisaient donc en atmosphère fermée et prenaient une couleur noire alors que l’extérieur s’oxydait en rouge. Cette poterie (la black-and-red ware ) est décorée à Ahar de motifs peints en blanc. On la retrouve sur les sites du Malwa, comme Navdatoli, ou du Deccan, notamment à Daimabad, dans la première moitié du IIe millénaire, associée à une céramique très originale (la poterie du style de Malwa) rouge ou engobée en crème, décorée d’une grande variété de motifs: spirales, crochets, soleils, capridés stylisés, félins à robe tachetée, curieux oiseaux à antennes, représentations humaines à grands cheveux rayonnants et frises de danseurs. On peut naturellement rapprocher ces décors des fresques des grottes de l’Inde centrale dont certaines ont d’ailleurs livré des tessons de poterie de Malwa. Les formes de récipients sont très variées, comprenant divers types de coupes et de gobelets sur pied et des bols à bec en gouttière dont nous avons déjà parlé à propos de la cache de Khurdi.Vers le milieu du IIe millénaire avant J.-C., la poterie de Malwa, faite à la main et d’une texture relativement grossière, est remplacée par une céramique beaucoup plus fine, tournée. Cette nouvelle céramique du style de Jorwe, site du Deccan, sert à définir la dernière phase préhistorique de cet ensemble culturel. Elle est bien représentée sur le site de Inamgaon où l’on remarque des inhumations d’enfants dans des jarres placées sous le sol des maisons. Dans une phase finale de cette période Jorwe, à Inamgaon, en association avec une poterie fine noire et rouge du début de la période du fer, vers 900 ou 800 avant J.-C., on remarque une inhumation dans une jarre quadripode qui semble l’ancêtre des grands sarcophages multipodes en terre cuite des cimetières mégalithiques du sud de l’Inde autour de l’ère chrétienne. Le site de Daimabad, dans la même région, occupé sans doute dès le début du IIe millénaire (on y a même trouvé un tesson portant trois graffiti dans l’écriture de l’Indus), possède un important niveau d’occupation de la période Jorwe. C’est probablement à cette phase que se rattache la cache de Daimabad contenant quatre remarquables pièces en cuivre, un rhinocéros, un éléphant et un buffle, tous trois montés sur roues, et un personnage debout sur un char attelé à deux taureaux. Ces quatre objets, qui pèsent plus de 60 kilogrammes, sont des pièces tout à fait uniques dans le monde indien.10. Les villages «néolithiques» et «chalcolithiques» de l’Inde du Sud (IIIe-Ier millénaire av. J.-C.)Les premiers établissements néolithiques du Karnataka, au sud du plateau du Deccan (Mysore et Andhra Pradesh), dont les plus anciens pourraient dater de 3000 avant J.-C., sont constitués par des tertres de cendre (ash-mounds ), comme ceux d’Utnur, Kupgal, Kodekal ou Pallavoy. Ces tertres marquent l’emplacement d’enclos en branchages qui servaient à garder des troupeaux de zébus (Bos indicus ), et dont les sols, constitués par des strates de bouse de vache, ont brûlé de nombreuses fois. Ces populations, dont la vie est essentiellement liée à l’élevage et sans doute à la capture de bovins, ont fabriqué de nombreuses haches en pierre polie et utilisé une poterie très grossière. Le métal semble encore inconnu, quelques objets de cuivre apparaissant seulement dans une phase suivante, sans doute après 2000 avant J.-C. Cette deuxième phase nous est connue par un ensemble de villages à huttes rondes, comme Tekkalakota, Piklihal, Sanganakallu, Maski ou Brahmagiri. La céramique, dont les formes se diversifient, subit l’influence des sites du nord du Deccan (culture de Malwa et de Jorwe); l’industrie lithique, lames et haches de pierre polie, reste inchangée jusqu’à l’âge du fer. L’élevage des bovins continue d’être l’activité principale. On signale la présence à Tekkalakota et à Hallur d’une variété de millet, le «ragi» (Eleusine coracana ) qui conserve encore de nos jours un rôle très important dans l’agriculture de ces régions. Les inhumations sont faites en position allongée, avec parfois un mobilier funéraire: haches de pierre polie, lames de silex, poteries. Comme dans la culture de Jorwe, les enfants sont enterrés dans des urnes.Avec les premiers objets de fer apparaît dans les complexes culturels du sud de l’Inde une céramique noire et rouge, qui correspond sans doute à une influence des sites du nord. Les modes funéraires se diversifient; on note des exemples de tombes pavées de dalles autour de 700 avant J.-C. Certaines de ces tombes semblent annoncer les ensembles de mégalithes qui correspondent à la seconde moitié du Ier millénaire.La culture des mégalithes, dont les monuments funéraires les plus impressionnants et les plus complexes datent d’après 500 avant J.-C., dépasse le cadre de ce survol de la préhistoire du subcontinent. Ces mégalithes, qui ont livré un très riche mobilier funéraire en métal (surtout en fer) accompagné de poterie noire et rouge de belle qualité, ont été souvent attribués, par le passé, à des populations d’envahisseurs, notamment à des groupes de guerriers scythes. Il est vrai que la fin du Ier millénaire est marquée par d’importants mouvements de population, par des expéditions militaires comme celles de Darius ou d’Alexandre dans le nord-ouest du subcontinent. Cependant, beaucoup d’éléments permettent de rattacher une partie importante des caractères de la culture des mégalithes aux périodes antérieures des sites du plateau du Deccan. Il faut également tenir compte du développement du commerce international, notamment avec le monde gréco-romain, pour expliquer la diversité et la richesse de certains de ces mégalithes.
Encyclopédie Universelle. 2012.